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Nous conduirons l'étranger curieux, à travers les différents cantons de la province, en lui signalant ce qui peut le plus l'intéresser comme archéologue, comme artiste, comme naturaliste ou simplement comme amateur. Ne voulant pas écrire un gros volume, ne pouvant pas faire l'histoire de tous les monuments dont le Roussillon est si riche pour l'époque romane, car nous devrions alors ne pas laisser une seule commune sans la visiter, nous serons obligés de nous borner dans nos indications et de n'appeler l'attention du voyageur que sur les sites principaux, les ruines où les édifices les plus remarquables, les objets d'histoire naturelle les plus intéressants et dont il importe le plus à l'étranger de connaître le gisement ou le catalogue. Mais avant de commencer nos excursions, nous croyons utile de donner, à ceux qui se proposeraient de nous prendre pour guide, un très rapide aperçu de l'histoire de ce pays, afin qu'ils puissent rattacher à ce canevas les anecdotes dont nous aurons quelquefois à les entretenir.

APERÇU HISTORIQUE.

Le comté de Roussillon fut institué par Charlemagne, à l'époque où ce prince, voulant opposer une barrière permanente aux invasions toujours menaçantes des Maures, morcela les marches d'Espagne en différents comtés toujours prêts à résister aux forces de l'islamisme et à s'opposer à ses progrès, en attendant de pouvoir rejeter ces étrangers hors des pays dès long-temps acquis au christianisme.

L'époque des comtes souverains de Roussillon est celle où ce pays fut le plus malheureux. D'une part, les descentes des Sarrasins et des Normands portaient le fer et la flamme dans ses villes et ses campagnes, et faisaient tomber deux abbayes

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et deux villes principales, Ruscino et Illibéris, aussi remarquables par leur haute antiquité que par les souvenirs historiques qui se rattachaient à leur existence; d'autre part, les rivalités des petits chefs féodaux leur mettant incessamment les armes entre les mains, il en résultait des désordres si grands, qu'une intervention des seigneurs tant laïques qu'ecclésiastiques dut s'efforcer d'y apporter des bornes : les premières constitutions de paix et trêve désignées sous le nom de treuga Dei, trêve-de-Dieu, furent décrétées dans les deux conciles tenus à Toluges, près de Perpignan.

La dépopulation de Ruscino avait donné de la consistance à un simple hameau connu sous le nom de villa Perpiniani. Devenue bourgade, cette localité reçoit dans son enceinte une collégiale qu'y fonde un comte de Roussillon, un hospice qu'y érige un autre comte, et les éléments d'une ville destinée à devenir puissante s'y trouvent réunis. Des coutumes fondées sur les droits qu'accordaient aux populations les institutions romaines sont confirmées par le dernier comte, et la ville de Perpignan encore adolescente marche à grands pas vers son entier affranchissement. Mourant sans postérité, ce dernier comte lègue ensuite ses domaines au roi d'Aragon, et le Roussillon ressent les effets salutaires de la main puissante qui tenait les rênes de ce royaume. Sous ce nouveau régime, la province prospère par le commerce et l'industrie manufacturière autant que par les lettres : familiers eux-mêmes avec la poésie romane les rois d'Aragon encourageaient la science du gaisavoir, et le Roussillon compta des troubadours dont le nom

est resté justement célèbre. A cette époque aussi, des corps municipaux s'organisèrent dans les communes libres par leur nature ou affranchies par la puissance de laquelle elles dépendaient.

Mais pendant que d'une part ces institutions bienfaisantes adoucissaient le sort des Roussillonnais, d'autre part un orage terrible commençait à s'amonceler sur leur tête. Un roi conquérant, l'un des plus grands princes qui aient illustré leur époque, Jacme ou Jayme, Jacques, le premier du nom, avait ajouté à l'Aragon le royaume de Valence, repris sur les Maures, et une partie des îles Baléares qu'il leur avait aussi enlevées. Père d'une nombreuse famille, Jacques voulait laisser une couronne à chacun de ses enfants, et il dressa dans ses états quatre trônes à la fois. Mais les malheurs que ce prince éprouva dans sa maison ayant réduit le nombre de ses héritiers, les quatre trônes se fondirent en deux : Père ou Pèdre, Pierre, devenu l'aîné, eut l'Aragon, Valence et la Catalogne ; Jacques obtint les îles Baléares, les comtés de Roussillon et de Cerdagne et quelques domaines épars en Languedoc Jac ques prit le titre de roi de Majorque.

L'unité de la monarchie aragonnaise se trouvant ainsi partagée, les deux concurrents qui en possédaient les parties devinrent deux rivaux, et bientôt deux ennemis. La saine politique faisait une loi au roi d'Aragon d'imposer sa suzeraineté au possesseur des fragments démembrés des états de son père; la justice le lui défendait, parce que leur père avait laissé à Jacques une couronne libre et indépendante; mais le Rous

sillon était la sentinelle avancée de l'Aragon, qui ne pouvait être tranquille s'il n'était assuré de la soumission de ce comté : la maxime éternelle : salus populi suprema lex esto, banda à la justice, et la politique accomplit ses desseins.

les

yeux

La violence exercée contre le roi de Majorque, fit de ce prince, contre son propre frère, un ennemi ulcéré cherchant partout ses moyens de vengeance: Jacques s'empressa de prendre parti pour le roi de France contre le roi d'Aragon, quand celui-ci privé de sa couronne par une décision pontificale, Philippe-le-Hardi fut chargé de la lui arracher pour la placer sur la tête de son second fils.

On sait quelle fut l'issue de la funeste guerre que le roi de France voulut porter au sein de l'Aragon. Arrêté dès ses premiers pas en Ampourdan, Philippe, après avoir perdu les trois quarts de son immense armée dévorée par un affreux typhus, atteint lui-même par l'épidémie, vint expirer à Perpignan, ne devant qu'à la magnanimité du monarque qu'il venait dépouiller la triste consolation de ne pas expirer sur le sol ennemi; mais avant de rendre le dernier soupir, ce prince eut la douleur de voir massacrer, au passage des Pyrénées, le reste des soldats que la mortalité du camp avait épargnés, et qui devaient mourir aussi sur la terre étrangère : un très petit nombre d'entre ces survivants au fléau put être mis à couvert sous l'oriflamme avec le roi mourant, par le généreux saufconduit du glorieux monarque-troubadour que le Saint-Siége, dans son dédain superbe, avait qualifié de faible roseau, tandis qu'il fut le chêne contre lequel vinrent se briser tous les efforts

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